Manana Djabelia est une Géorgienne originaire d’Abkhazie. En 1994, à 39 ans,
elle s’est installée à Moscou, fuyant la guerre avec son mari, son frère et ses trois fils.
Pendant la guerre en Abkhazie, les Géorgiens ont fait l’objet d’un
nettoyage ethnique: ils ont été tués, torturés, des femmes ont été violées. De nombreux Géorgiens ont quitté l’Abkhazie pour les territoires contrôlés par Tbilissi: ils ont alors marché pendant plusieurs jours dans la montagne, ont essayé de monter à bord des hélicoptères qui étaient parfois envoyés pour les récupérer. En tentant d'échapper à la guerre, des dizaines de personnes
sont mortes de froid et de malnutrition.
Les autorités géorgiennes avaient du mal à faire face au flux de réfugiés: en 1992−1993, environ 200 000 Géorgiens ont quitté l’Abkhazie et
se sont installés dans les territoires contrôlés par la Géorgie. La ville de Zougdidi, située à la frontière avec l’Abkhazie, était alors surpeuplée de réfugiés. Fin 1993, environ 100 000 réfugiés d’Abkhazie s’entassaient dans la ville et ses environs, alors qu’en 1989, Zougdidi
comptait 50 000 habitants. Les réfugiés vivaient chez des amis ou des parents, ou dans les locaux d'écoles maternelles. Les hôtels et les sanatoriums des principales villes de Géorgie, Tbilissi et Koutaïssi, étaient remplis de réfugiés.
Le conflit armé entre la Géorgie et sa république autonome d’Abkhazie a débuté en août 1992. L’Abkhazie voulait son indépendance, ce que la Géorgie refusait. Officiellement, la Russie a maintenu sa neutralité par rapport à ce conflit: elle a condamné les crimes de guerre commis par les deux parties au conflit, a envoyé de l’aide humanitaire et
aidé à l'évacuation des réfugiés. Néanmoins, selon un
rapport de Human Rights Watch, les unités russes qui se trouvaient dans la zone de conflit ont soutenu de manière informelle les forces abkhazes, en bombardant par exemple des positions géorgiennes (la position officielle de la Russie était que ses troupes ne faisaient que se protéger en ripostant aux tirs de l’armée géorgienne). La Géorgie
a accusé la Russie d’avoir fourni des armes aux troupes abkhazes, notamment des chars (ce que la Russie a nié), et à son tour, l’Abkhazie a également accusé Moscou d’avoir donné des véhicules blindés aux troupes géorgiennes.
Mais parmi ceux qui ont quitté l’Abkhazie pendant la guerre, tous ne sont pas restés sur le territoire géorgien. Certains ont fui vers la Russie.
Selon le consulat géorgien à Moscou, sur les 250 000 Géorgiens qui ont quitté l’Abkhazie en 1992−1993, environ 50 000 personnes se sont installées en Russie. À l'époque, seulement deux ans après l’effondrement de l’URSS, la Russie n'était pas perçue comme un État étranger, ainsi que
l’ont écrit des défenseurs des droits humains de l’organisation Comité d’assistance civique: " De nombreux réfugiés se sont d’abord rendus à Tbilissi, puis, n’ayant pas reçu d’aide substantielle ou n’ayant pas trouvé de logement ou de moyens de subsistance, beaucoup sont partis en Russie, le plus souvent à Moscou, qu’ils considéraient encore comme leur capitale, le centre politique et économique où les décisions étaient prises et où il était plus facile de survivre ".
La famille de Manana Djabelia s’est installée à Moscou. Manana
vendait des fruits et des légumes au marché. Son fils Niko a étudié le droit dans une université moscovite. Le mari de Manana, Chakhi Kvaratskhelia, d’origine abkhaze, déclarait se considérer comme un Moscovite.
La famille de Manana Djabelia a vécu à Moscou pendant 13 ans. Manana avait un passeport géorgien, mais elle vivait en Russie en toute légalité: elle
renouvelait régulièrement son visa. Le 4 octobre 2006, un événement inattendu s’est produit: Manana a été arrêtée par la police. Elle n’avait pas son passeport géorgien sur elle, car la veille, elle l’avait déposé au consulat pour un renouvellement.
Bien que Manana ait disposé d’une attestation délivrée par le consulat de Géorgie indiquant qu’elle était une personne déplacée, la police l’a tout de même emmenée au poste où elle a passé la nuit.
Et le lendemain, un tribunal a ordonné son expulsion du pays. L’audience a duré dix minutes. La décision indique que Manana Djabelia aurait admis être arrivée illégalement en Russie seulement deux ans auparavant et qu’elle souhaitait retourner en Géorgie. Son fils affirme que sa mère n’a jamais rien déclaré de tel.